Mgr Benoît Bertrand adresse un message à tous les catholiques du diocèse de Mende.
Artisans de Paix, réagir au mal par le bien !
Avec cette Toussaint 2020 si particulière, je crois n’avoir rien de meilleur à faire que de méditer un seul verset de l’Évangile, une seule parole de Jésus adressée à ses disciples, une seule béatitude : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu ». Mais comment peut-on entendre cette béatitude après les actes de barbarie perpétrés à la Basilique Notre-Dame à Nice jeudi dernier ? Comment accueillir ces paroles alors que notre cœur se cabre devant de tels actes de terreur ? Comment recevoir cette béatitude, alors que, tout simplement, le désir pourrait nous prendre de nous révolter ? Juste après l’annonce d’un nouveau confinement, nous voici confrontés à nouveau à la violence islamiste : des journalistes, des policiers et des militaires, des juifs, un professeur, des chrétiens en prière…
Décidément, notre paix est mise à rude épreuve. Je rejoins l’interrogation de Mgr Dominique Lebrun archevêque de Rouen qui fut l’évêque du Père Jacques Hamel : « Mais comment donc peut-on dire aimer Dieu et tuer ses frères ? Je ne me l’explique pas ». Saint Jean-Paul II plusieurs fois l’a rappelé : le nom de Dieu ne peut jamais être utilisé pour justifier la violence. Rechercher la paix, tout le monde est pour, bien sûr. Mais alors, d’où vient que, depuis la nuit des temps, la guerre et les violences soient comme un bruit de fond de l’humanité ? Guerres d’hier blessant les mémoires, elles nous obligent au souvenir, nous le ferons le 11 novembre. Guerres d’aujourd’hui, elles engendrent leur lot de souffrances et restent là, comme une « bête tapie à notre porte ». Violences que l’on prépare, que l’on médite ! Violences que l’on promeut. Terreurs qu’on annonce, qu’on met en scène, qu’on filme, ou même terreur que l’on rêve… L’homme serait-il un loup pour l’homme ?
Nous nous indignons, dans nos villes et nos villages, devant les actes racistes, antisémites, antichrétiens, islamophobes. La violence pourrait aussi, parfois, accompagner nos débats de société. Liberté, égalité, fraternité… Notre devise républicaine est belle mais à condition de ne pas séparer les trois valeurs les unes des autres. Elles s’appellent et s’interrogent les unes les autres. Tous, nous tenons à nos libertés : liberté de conscience, liberté d’expression, liberté de culte, liberté de la presse… mais pas de liberté sans fraternité, sans respect, sans égalité en dignité, sans « amitié sociale » dirait le pape François. Il y a, parfois, une manière d’être cynique qui ne respecte pas la fraternité, qui ne construit pas la paix.
« Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu ». Il serait injuste de ne pas mentionner tout le travail réalisé par les traditions religieuses. Elles ont souvent constitué des remparts face aux pouvoirs oppressifs ou totalitaires. Elles contribuent par leurs messages, leurs pratiques, à démasquer et affronter les violences pour construire la paix et la fraternité. Édifier une paix solide ne relève pas d’un seul rapport de forces mais, si l’on peut dire, d’un rapport d’humanité : d’homme à homme pour la justice, pour le pardon et pour la paix. Et c’est aux religions, à toutes les religions de faire ce rappel irréfutable : Dieu, en réalité, est innocent et désarmé !
Dans la Bible, qui est d’une certaine manière une longue histoire de violences, le regard de l’homme, progressivement, se retourne, se convertit. Face à la violence de sa toute-puissance, l’homme découvre peu à peu la faiblesse d’un Dieu qui s’incarne dans nos affrontements et dans nos conflits ; il s’offre à nous comme un modèle d’humanité. Puis, un jour du temps, ce Dieu est cloué par la violence des hommes pour le salut de tous. La prophétie d’Isaïe l’avait annoncé, Dieu porte un nom, il est proclamé, il est révélé : « Prince de la paix ». Toute la Bible est alors parsemée de ces paroles de défi : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… Ne crains pas petit troupeau, j’ai vaincu le monde… N’aie pas peur, confiance… Que votre sérénité soit connue de tous les hommes… Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu ». Mais il nous faut être attentifs à l’erreur d’interprétation ! Pour des chrétiens, faire crédit à ces paroles ce n’est, en aucune manière, fuir ou s’échapper devant la violence comme on serait hélitreuillé d’un navire en perdition mais c’est la vivre autrement, la combattre sachant que là où nous l’affrontons, le Christ, Prince de la paix, est avec nous. Alors que faire ? Comment agir durant ce confinement ? Pour conclure, je propose trois chemins pour grandir dans l’art d’être des artisans de la paix.
Tout d’abord, quelque chose, me semble-t-il, d’essentiel. Démasquer la violence, certes, mais sans se laisser fasciner par elle, sans se laisser gagner par la peur, car elle pourrait, parfois, nous rendre complices. Peut-être connaissez-vous ce conte amérindien ? Un vieil homme parle avec son petit fils. Il y a en toute personne, lui dit-il, deux loups. Le premier est celui qui est porteur de haine, de violence, de mépris. Il y a aussi un second loup, il est porteur de paix, de respect et de fraternité. Le petit fils demande alors à son grand-père : « Papy, quel est celui qui gagne ? ». « Celui que l’on nourrit », répond le grand-père. Refusons la peur et nourrissons en nous la paix !
2ème chemin : savoir reconnaître –magnifique bonne nouvelle- ceux et celles qui, dans l’actualité du monde ou tout près de chez nous, font face. Ces hommes et ces femmes, ces jeunes qui font reculer les violences, les conflits entre nous : dans nos quartiers, nos villages, nos communautés. Ils nous montrent la voie ; ils nous appellent dans leurs rangs ; ils nous invitent à devenir des artisans de paix, à ouvrir d’autres chemins de fraternité. J’aime cette parole de Charles Péguy : « Celui qui prie Dieu pour demander la victoire et qui n’a pas le courage de se battre, moi je dis que c’est un malhonnête » !
3ème chemin, c’est la promesse du Seigneur. Elle est formelle : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ». Mais cette paix, liée à la personne du Christ, ne s’installe pas dans le monde n’importe comment. Elle n’opère que si nous l’avons accueillie, fait travailler en nous, si nous l’avons laissée nous transformer… La paix de Dieu ne tombe pas du ciel pour que nous devenions des « bisounours » ! La paix de Dieu nous est donnée pour devenir des fils de Dieu, pour éteindre nos guerres entre voisins ou entre États. La paix du Christ nous est donnée, mais elle passe par le cœur de l’homme ! Il s’agit de réagir au mal par le bien !
En cette fête si particulière de Toussaint 2020, il faut bien que nous entendions la question : pour bâtir la paix, aujourd’hui, que puis-je faire ? Entendons cette question non pas comme une consigne redoutable mais comme une promesse inimaginable…
+ Benoit Bertrand
Évêque de Mende