A l’heure actuelle, une proposition de loi, portée par le député Olivier Falorni, souhaite voir légaliser une « aide active permettant une mort rapide » et sera l’objet de débats en séance, jeudi 8 avril, au sein de la niche parlementaire de « Liberté et Territoires », avec toutefois 3000 amendements déposés.
En mars 2018, les évêques de France ont signé une déclaration « Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité ».
Une Déclaration qui garde toute sa pertinence.
DECLARATION DES EVEQUES DE FRANCE
Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité !
Le 22 mars 201
Nous devons tous pouvoir réfléchir le plus sereinement possible à la fin de vie. En apportant leur éclairage, les 118 évêques de France signent une Déclaration « Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité ! », ce jeudi 22 mars 2018. Ils expriment leur compassion envers leurs frères et sœurs en fin de vie et saluent les professionnels de santé qui leur procurent une réelle qualité de vie avec une fin de vie la plus apaisée possible. Ils déplorent les disparités d’accès aux soins palliatifs sur le territoire national, ainsi que l’insuffisance des formations proposées aux personnels soignants, car cela engendre des souffrances tragiques. Ce sont elles qui occasionnent les demandes de légalisation d’assistance au suicide et d’euthanasie.
Avec ces constats, les évêques de France avancent six raisons éthiques majeures pour s’opposer à cette légalisation qui, à nouveau, troublerait profondément notre société. Ils appellent leurs concitoyens et leurs parlementaires à un sursaut de conscience pour que s’édifie une société fraternelle où nous prendrons individuellement et collectivement soin les uns des autres.
Les 118 évêques signataires insistent : «Ne nous trompons donc pas d’urgence ! »
Quelles que soient nos convictions, la fin de vie est un temps que nous vivrons tous et une inquiétude que nous partageons. Chacun doit donc pouvoir y réfléchir le plus sereinement possible, en évitant les écueils des passions et des pressions.
Nous voulons avant tout exprimer notre pleine compassion envers nos frères et sœurs en « fin de vie », comme l’Église a toujours essayé de le faire. Ils se présentent dans leur faiblesse, parfois extrême. Leur existence est un appel : de quelle humanité, de quelle attention, de quelle sollicitude ferons-nous preuve envers eux qui vivent au milieu de nous ?
Nous saluons les professionnels de santé qui leur procurent une qualité de vie dans une fin de vie la plus apaisée possible, grâce à leur compétence technique et à leur humanité, aussi bien dans le suivi quotidien que dans les situations d’urgence. Certains d’entre eux sont engagés, souvent avec de fortes convictions personnelles, en soins palliatifs. Grâce à eux et à l’effort de déploiement de ces soins, nombre de nos concitoyens vivent de manière apaisée leur fin de vie.
Cependant, ces soins ne sont pas suffisamment développés et les possibilités de soulagement de la souffrance sous toutes ses formes ne sont pas assez connues. Il est urgent de combattre cette ignorance, source de peurs qui ne sont jamais bonnes conseillères et dont s’abreuvent les sondages.
Ancrés dans l’ensemble du territoire, nous déplorons les disparités d’accès aux soins palliatifs ainsi que l’insuffisance de formations proposées au personnel médical et soignant, ce qui engendre des souffrances parfois tragiques. C’est pourquoi l’urgence consiste à poursuivre le développement des soins palliatifs pour que toute personne en ayant besoin puisse, selon la loi du 9 juin 1999, y avoir accès quel que soit son lieu de vie, y compris dans les EHPAD et dans les maisons de retraite.
En raison de ces carences et de la médiatisation de certains cas, plusieurs réclament un changement de la loi par la légalisation d’une assistance médicale au suicide et de l’euthanasie. Face à cette réclamation, nous affirmons notre opposition éthique pour au moins six raisons :
1. La dernière loi a été votée récemment, le 2 février 2016. Dans la suite de celle du 22 avril 2005 – dont le retentissement fut international –, elle poursuit l’effort d’une prise en charge responsable et collégiale de la part des soignants pour garantir une fin de vie apaisée. Son application est encore largement en chantier et demande une formation appropriée. Apprécier, au cas par cas, comment accompagner au mieux chaque personne en grande vulnérabilité demande temps, discernement et délicatesse. Changer la loi manifesterait un manque de respect non seulement pour le travail législatif déjà accompli, mais aussi pour la patiente et progressive implication des soignants. Leur urgence, c’est qu’on leur laisse du temps.
2. Fort de la fraternité qu’il proclame, comment l’État pourrait-il, sans se contredire, faire la promotion – même encadrée – de l’aide au suicide ou de l’euthanasie tout en développant des plans de lutte contre le suicide ? Ce serait inscrire au cœur de nos sociétés la transgression de l’impératif civilisateur : « Tu ne tueras pas. » Le signal envoyé serait dramatique pour tous, et en particulier pour les personnes en grande fragilité, souvent tiraillées par cette question : « Ne suis-je pas un poids pour mes proches et pour la société ? » Quelles que soient les subtilités juridiques recherchées pour étouffer les problèmes de conscience, le geste fratricide se dresserait dans notre conscience collective comme une question refoulée et sans réponse : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
3. Si l’État confiait à la médecine la charge d’exécuter ces demandes de suicide ou d’euthanasie, des personnels soignants seraient entraînés, malgré eux, à penser qu’une vie ne serait plus digne d’être vécue, ce qui serait contraire au Code de déontologie médicale : « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. » Selon Paul Ricœur reprenant la tradition hippocratique, la relation de soin est par nature un « pacte de confiance » qui unit soignés et soignants et qui interdit à ces derniers, au nom de cette dignité, de faire volontairement du mal à autrui et encore moins de le faire mourir. Tuer, même en prétendant invoquer la compassion, n’est en aucun cas un soin. Il est urgent de sauvegarder la vocation de la médecine.
4. Même si une clause de conscience venait protéger les soignants, qu’en serait-il des personnes vulnérables ? Dans leur autonomie, elles ont besoin de confiance et d’écoute pour confier leurs désirs, souvent ambivalents. Quelle serait la cohérence de l’engagement médical si, dans certains lieux, des soignants étaient prompts à accéder à leurs désirs de mort chimiquement provoquée, tandis que dans d’autres, ils les accompagnaient, grâce à l’écoute patiente et au soulagement des différentes souffrances, vers une mort naturelle paisible ? La vulnérabilité de personnes – jeunes et moins jeunes – en situation de dépendance et de fin de vie appelle non un geste de mort mais un accompagnement solidaire. La détresse de celles qui demandent parfois que l’on mette fin à leur vie, si elle n’a pu être prévenue[1], doit être entendue. Elle oblige à un accompagnement plus attentif, non à un abandon prématuré au silence de la mort. Il en va d’une authentique fraternité qu’il est urgent de renforcer : elle est le lien vital de notre société.
5. Les tenants de l’aide au suicide et de l’euthanasie invoquent « le choix souverain du malade, son désir de maîtriser son destin ». Ils prétendent que « l’exercice de ce droit n’enlève rien à personne. C’est le type même de la liberté personnelle qui ne déborde pas sur la liberté d’autrui ». Mais qu’est-ce qu’une liberté qui, au nom d’une illusoire autonomie souveraine, enfermerait la personne vulnérable dans la solitude de sa décision ? L’expérience atteste que la liberté est toujours une liberté en relation grâce à laquelle le dialogue se noue afin que le soignant soit bienfaisant. Nos choix personnels, qu’on le veuille ou non, ont une dimension collective. Les blessures du corps individuel sont des blessures du corps social. Si certains font le choix désespéré du suicide, la société a avant tout le devoir de prévenir ce geste traumatisant. Ce choix ne doit pas entrer dans la vie sociale par le biais d’une coopération légale au geste suicidaire.
6. Réclamer sous quelque forme que ce soit une « aide médicale à mourir », c’est imaginer, comme c’est le cas dans des pays voisins, des institutions spécialisées dans la mort. Mais alors quelles institutions ? Et avec quel financement ? Ou bien, c’est conduire notre système de santé à imposer à nos soignants et à nos concitoyens une culpabilité angoissante, chacun pouvant être amené à s’interroger : « Ne devrais-je pas envisager un jour de mettre fin à ma vie ? » Cette question sera source d’inévitables tensions pour les patients, leurs proches et les soignants. Elle pèserait gravement sur la relation de soin.
Ne nous trompons donc pas d’urgence !
Face aux troubles et aux doutes de notre société, comme le recommande Jürgen Habermas, nous offrons le récit du « bon Samaritain » qui prend en charge « l’homme à demi-mort », le conduit dans une « auberge » hospitalière et exerce la solidarité face à la « dépense » qu’occasionnent ses « soins ». À la lumière de ce récit, nous appelons nos concitoyens et nos parlementaires à un sursaut de conscience pour que s’édifie toujours plus en France une société fraternelle où nous prendrons individuellement et collectivement soin les uns des autres.
Cette fraternité inspira l’ambition de notre système solidaire de santé au sortir de la Seconde guerre mondiale. Que ferons-nous de cette ambition ? La fraternité relève d’une décision et d’une urgence politiques que nous appelons de nos vœux.
Card. Philippe BARBARIN, archevêque de Lyon,
Card. Jean-Pierre RICARD, archevêque de Bordeaux, évêque de Bazas,
Card. André VINGT-TROIS, archevêque émérite de Paris,
Mgr Georges PONTIER, archevêque de Marseille et président de la CEF,
Mgr Pierre-Marie CARRÉ, archevêque de Montpellier et vice-président de la CEF,
Mgr Pascal DELANNOY, évêque de Saint-Denis et vice-président de la CEF,
Mgr Marc AILLET, évêque de Bayonne, Lescar-Oloron,
Mgr Bernard-Nicolas AUBERTIN, archevêque de Tours,
Mgr Gilbert AUBRY, évêque de Saint-Denis de la Réunion,
Mgr Eric AUMONIER, évêque de Versailles,
Mgr Michel AUPETIT, archevêque de Paris,
Mgr Jean-Marc AVELINE, évêque auxiliaire de Marseille,
Mgr Claude AZEMA, évêque auxiliaire de Montpellier,
Mgr Philippe BALLOT, archevêque de Chambéry, évêque de Maurienne et Tarentaise,
Mgr Jean-Louis BALSA, évêque de Viviers,
Mgr Sylvain BATAILLE, évêque de Saint-Etienne,
Mgr Jean-Pierre BATUT, évêque de Blois,
Mgr Jérôme BEAU, évêque auxiliaire de Paris,
Mgr Jacques BENOIT-GONNIN, évêque de Beauvais, Noyon et Senlis,
Mgr Didier BERTHET, évêque de Saint-Dié,
Mgr Francis BESTION, évêque de Tulle,
Mgr Dominique BLANCHET, évêque de Belfort-Montbéliard,
Mgr Jacques BLAQUART, évêque d’Orléans,
Mgr Yves BOIVINEAU, évêque d’Annecy,
P. Jean BONDU, administrateur diocésain de Luçon,
Mgr Jean-Luc BOUILLERET, archevêque de Besançon,
Mgr Jean-Claude BOULANGER, évêque de Bayeux-Lisieux,
Mgr Pierre-Antoine BOZO, évêque de Limoges,
Mgr Thierry BRAC de la PERRIÈRE, évêque de Nevers,
Mgr Nicolas BROUWET, évêque de Tarbes et Lourdes,
Mgr Jean-Luc BRUNIN, évêque du Havre,
Mgr Laurent CAMIADE, évêque de Cahors,
Mgr Jean-Pierre CATTENOZ, archevêque d’Avignon,
Mgr Raymond CENTENE, évêque de Vannes,
Mgr Philippe CHRISTORY, évêque nommé de Chartres,
Mgr Georges COLOMB, évêque de La Rochelle et Saintes,
Mgr Luc CREPY, évêque du Puy-en-Velay,
Mgr Emmanuel DELMAS, évêque d’Angers,
Mgr Renauld de DINECHIN, évêque de Soissons, Laon et Saint-Quentin,
Mgr Laurent DOGNIN, évêque de Quimper et Léon,
Mgr Vincent DOLLMANN, évêque auxiliaire de Strasbourg,
Mgr Christophe DUFOUR, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles,
Mgr Jean-Marc EYCHENNE, évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix,
Mgr Bruno FEILLET, évêque auxiliaire de Reims,
Mgr François FONLUPT, évêque de Rodez et Vabres,
Mgr Maurice GARDÈS, archevêque d’Auch,
Mgr François GARNIER, archevêque de Cambrai,
Mgr Maroun Nasser GEMAYEL, évêque de l’Éparchie Notre-Dame-du-Liban de Paris des Maronites de France,
Mgr Olivier de GERMAY, évêque d’Ajaccio,
Mgr Bernard GINOUX, évêque de Montauban,
Mgr Hervé GIRAUD, archevêque de Sens et Auxerre et prélat de la Mission de France,
Mgr Emmanuel GOBILLIARD, évêque auxiliaire de Lyon,
Mgr Hervé GOSSELIN, évêque d’Angoulême,
Mgr Bruno GRUA, évêque de Saint-Flour,
Mgr Borys GUDZIAK, évêque de l’Éparchie de Saint-Vladimir-le-Grand de Paris,
Mgr Jean-Paul GUSCHING, évêque de Verdun,
Mgr Jacques HABERT, évêque de Séez,
Mgr Hubert HERBRETEAU, évêque d’Agen,
Mgr Antoine HEROUARD, évêque auxiliaire de Lille,
Mgr Denis JACHIET, évêque auxiliaire de Paris,
Mgr François JACOLIN, évêque de Mende,
Mgr Jean-Paul JAEGER, évêque d’Arras,
Mgr Jean-Paul JAMES, évêque de Nantes,
Mgr Thierry JORDAN, archevêque de Reims,
Mgr Vincent JORDY, évêque de Saint Claude,
Mgr François KALIST, archevêque de Clermont,
Mgr Guy de KERIMEL, évêque de Grenoble – Vienne,
Mgr Christian KRATZ, évêque auxiliaire de Strasbourg,
Mgr Bertrand LACOMBE, évêque auxiliaire de Bordeaux,
Mgr Emmanuel LAFONT, évêque de Cayenne,
Mgr Jean-Christophe LAGLEIZE, évêque de Metz,
Mgr Stanislas LALANNE, évêque de Pontoise,
Mgr Laurent LE BOULC’H, évêque de Coutances et Avranches,
Mgr Patrick LE GAL, évêque auxiliaire de Lyon,
Mgr Robert LE GALL, archevêque de Toulouse,
Mgr Yves LE SAUX, évêque du Mans,
Mgr Jean-Marie LE VERT, évêque auxiliaire de Bordeaux,
Mgr Olivier LEBORGNE, évêque d’Amiens,
Mgr Dominique LEBRUN, archevêque de Rouen,
Mgr Jean LEGREZ, archevêque d’Albi,
Mgr David MACAIRE, archevêque de Saint-Pierre et de Fort-de-France,
Mgr Charles MAHUZA YAVA sds, évêque de Mayotte,
Mgr Armand MAILLARD, archevêque de Bourges,
Mgr Xavier MALLE, évêque de Gap et Embrun,
Mgr André MARCEAU, évêque de Nice,
Mgr Joseph de METZ-NOBLAT, évêque de Langres,
Mgr Pierre-Yves MICHEL, évêque de Valence,
Mgr Roland MINNERATH, archevêque de Dijon,
Mgr Eric de MOULINS-BEAUFORT, évêque auxiliaire de Paris,
Mgr Philippe MOUSSET, évêque de Périgueux et Sarlat,
Mgr Denis MOUTEL, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier,
Mgr Jean-Yves NAHMIAS, évêque de Meaux,
Mgr Jean-Philippe NAULT, évêque de Digne, Riez et Sisteron,
Mgr Christian NOURRICHARD, évêque d’Evreux,
Mgr Pierre d’ORNELLAS, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo,
Mgr Michel PANSARD, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes,
Mgr Jean-Louis PAPIN, évêque de Nancy et Toul,
Mgr Laurent PERCEROU, évêque de Moulins,
Mgr Alain PLANET, évêque de Carcassonne et Narbonne,
Mgr Luc RAVEL, archevêque de Strasbourg,
Mgr Dominique REY, évêque de Fréjus – Toulon,
Mgr Jean-Yves RIOCREUX, évêque de Basse-Terre et Pointe-à-Pitre,
Mgr Benoît RIVIÈRE, évêque d’Autun,
P. Sébastien ROBERT, administrateur diocésain de Chartres,
Mgr Pascal ROLAND, évêque de Belley-Ars,
Mgr Antoine de ROMANET, évêque aux Armées françaises,
Mgr Michel SANTIER, évêque de Créteil,
Mgr Thierry SCHERRER, évêque de Laval,
Mgr Nicolas SOUCHU, évêque d’Aire et Dax,
Mgr Marc STENGER, évêque de Troyes,
Mgr Jean TEYROUZ, évêque de l’Eparchie de Sainte-Croix de Paris des Arméniens catholiques de France,
Mgr François TOUVET, évêque de Châlons,
Mgr Norbert TURINI, évêque de Perpignan-Elne,
Mgr Laurent ULRICH, archevêque de Lille,
Mgr Thibault VERNY, évêque auxiliaire de Paris,
Mgr Robert WATTEBLED, évêque de Nîmes, Uzès et Alès
Mgr Pascal WINTZER, archevêque de Poitiers,
P. Hugues de WOILLEMONT, administrateur diocésain de Nanterre.
[1] À ce sujet, voir les propositions concrètes données dans le document : Mgr Pierre d’Ornellas et alii, Fin de vie, un enjeu de fraternité, Salvator, 2015, pp. 147-149